L’annonce du départ du président a jeté dans la rue des milliers d’habitants qui ont fêté une victoire. Le pouvoir semble vacant alors que des violences ont secoué la capitale.
Le président bolivien Evo Morales a démissionné dimanche après trois semaines de protestations contre sa réélection, tandis qu’une foule joyeuse célébrait la nouvelle dans les rues et que les premières arrestations d’anciens dirigeants avaient lieu. «Je renonce à mon poste de président», a déclaré à la télévision le leader indigène de 60 ans, au pouvoir depuis 2006, au terme d’une journée marquée par de nouveaux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ainsi que des démissions en série de ministres et députés. Evo Morales a annoncé dans la soirée qu’un mandat d’arrêt «illégal» avait été émis contre lui. Une information démentie par le commandant de la police, Vladimir Yuri Calderon. Seuls sont visés les magistrats du Tribunal suprême électoral (TSE), a-t-il déclaré.
Mais l’un des principaux opposants à Evo Morales, Luis Fernando Camacho, qui a joué un rôle clé dans le mouvement qui a conduit à sa démission, a confirmé l’existence d’un mandat d’arrêt contre lui: «Confirmé!! Ordre d’arrestation pour Evo Morales!! La police et les militaires le recherchent dans le Chaparé», a-t-il écrit sur Twitter. Le Chaparé est le fief de l’ex-président, dans le centre de la Bolivie. Un peu plus tôt, la police a arrêté la présidente du TSE, Maria Eugenia Choque, sur ordre du parquet, qui enquête sur des irrégularités commises dans le scrutin d’octobre, ainsi que le vice-président du TSE, Antonio Costas. Tous deux, emmenés par des hommes encagoulés ou masqués, ils ont été présentés aux médias au pied d’une estrade où se trouvaient assis des gradés de la police.
Des milliers d’habitants ont déferlé dans les rues du pays pour célébrer l’annonce de la démission du président, agitant le drapeau bolivien entre rires et larmes après la violente vague de contestation au cours de laquelle trois personnes ont été tuées et 383 blessées. «Cet imbécile (Morales), qui ne sait pas réfléchir, est parti par la fenêtre, quelle bonne nouvelle, on est heureux», confiait à l’AFP Reggina Sojas, commerçante de 61 ans, venue faire la fête sur l’avenue El Prado, principal axe de La Paz. «Quel moment de gloire pour nous, on est vraiment contents, vive la démocratie», se réjouissait aussi Ricardo Revilla, employé de banque de 37 ans.
«Leçon au monde»
«Nous avons donné une leçon au monde, demain la Bolivie sera un nouveau pays», s’est exclamé Luis Fernando Camacho, dirigeant le plus visible et radical de l’opposition, qui s’était rendu plus tôt au siège du gouvernement à La Paz pour y remettre symboliquement une lettre de démission à signer par Evo Morales, ainsi qu’un exemplaire de la Bible.
Retranché dans son fief politique, la zone de production de feuille de coca de Chimoré, dans la région de Cochabamba (centre), Evo Morales a finalement cédé aux appels au départ en fin d’après-midi. Dénonçant comme une «décision politique» l’appel de l’Organisation des Etats américains (OEA) à l’organisation d’un nouveau scrutin, il a affirmé: «Mon péché (est) d’être indigène, d’être producteur de coca.»
Né dans la misère, cet ancien berger de lamas avait gravi les échelons syndicaux jusqu’à devenir il y a 13 ans le premier chef d’Etat indigène du pays. Il est l’un des derniers représentants de la «vague rose» qui a déferlé au tournant des années 2000 sur l’Amérique latine, faisant virer à gauche le Brésil, l’Argentine, le Chili, l’Equateur et le Venezuela, la majorité de ces pays ayant depuis rebasculé à droite. Dimanche soir, il a d’ailleurs reçu le soutien immédiat des présidents cubain et vénézuélien, Miguel Diaz-Canel et Nicolas Maduro, qui ont dénoncé un «coup d’Etat» et exprimé leur solidarité envers leur «frère président» Evo Morales.
Le président élu argentin Alberto Fernandez a également condamné «un coup d’Etat». Le Mexique à offert l’asile à Evo Morales et accueilli dans son ambassade à La Paz des fonctionnaires et des parlementaires boliviens. De son côté, le président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro a estimé que les dénonciations de fraude avaient poussé Evo Morales à démissionner.
Vacance du pouvoir
Au fil de la journée, le dirigeant bolivien s’était retrouvé de plus en plus isolé alors que la crise politique s’accélérait brutalement dans le pays andin, où grève générale et manifestations paralysaient l’activité depuis une dizaine de jours. Le coup fatal a été porté par l’armée et par la police, qui lui ont retiré leur soutien dans l’après-midi, l’appelant à démissionner «pour le bien de la Bolivie».
L’annonce dans la matinée par le président d’un nouveau scrutin – une option qu’il rejetait jusque-là – visait à «pacifier la Bolivie» mais n’a pas réussi à apporter le calme. Durant la journée, plusieurs dirigeants de l’opposition avaient exhorté le chef de l’Etat a lui aussi démissionner. Le président avait promis de «renouveler l’ensemble des membres du Tribunal électoral suprême (TSE)», puis de «convoqu(er) de nouvelles élections», sans spécifier la date de ce nouveau scrutin, ni s’il s’y représenterait. Le scrutin du 20 octobre avait abouti à l’élection d’Evo Morales pour un quatrième mandat allant jusqu’en 2025, une option pourtant rejetée par la population lors d’un référendum en février 2016.
Vice-président, présidents du Sénat et de la Chambre des députés, ministres, députés: la cascade de démissions depuis l’annonce de Morales a entraîné une vacance du pouvoir. Après les démissions du président et du premier vice-président du Sénat, la deuxième vice-présidente de la chambre haute, l’opposante Jeanine Anez, a revendiqué dimanche son droit à devenir chef de l’Etat par intérim. «Je suis la deuxième vice-présidente et dans l’ordre constitutionnel, je devrais assumer ce défi [de la présidence de la République] avec le seul objectif d’appeler à de nouvelles élections», a-t-elle dit sur la télévision Unitel.
Violences dans la capitale
L’annonce de la démission d’Evo Morales a provoqué des à La Paz et à El Alto, une ville proche de la capitale. De nombreux autobus ont été incendiés ainsi que des domiciles de personnalités, selon les médias locaux. A La Paz, des dizaines de manifestants «sont entrés dans nos installations et sont en train d’incendier les autobus», a déclaré sur Twitter le service municipal de transport public. Les médias ont montré que quinze véhicules étaient en flammes dans le centre d’entretien des autobus.
Le dirigeant d’un collectif de citoyens, Waldo Albarracin, qui a œuvré aux demandes de démission d’Evo Morales, a déclaré que sa maison avait été incendiée et détruite par «une foule» de membres du Mouvement vers le socialisme (MAS), le parti du président démissionnaire. Waldo Albarracin, recteur de l’université d’Etat de La Paz, a diffusé sur son compte Twitter une vidéo de sa résidence en flammes. Une présentatrice de la chaîne Television Universitaria, Casimira Lema, a elle aussi déclaré que sa maison avait été incendiée. Juan Ramon Quintana, un ancien ministre, a expliqué à la télévision, que son domicile a été pillé par des inconnus qui ont emporté tous ses documentsà la télévision.
De plus, plusieurs dizaines de personnes semaient la peur au cours de la nuit dans le quartier aisé d’Achumani, dans le sud de La Paz. Dans ce quartier se trouve le siège d’un quotidien critique envers Evo Morales, Pagina Siete. Sur la porte de ce journal, on pouvait lire un avertissement disant: «Devant la vague de terreur qui s’est déchaînée dans la ville de La Paz, le quotidien Pagina Siete suspend ses activités par sécurité.» Egalement à La Paz, le siège de l’ambassade du Venezuela a été occupé par des manifestants cagoulés à la suite de la démission du président Morales, fidèle allié de Caracas.
«Equipés de dynamite, des manifestants cagoulés avec des boucliers ont pris l’ambassade du Venezuela en Bolivie. Nous allons bien et sommes à l’abri, mais ils veulent faire un massacre. Aidez-nous à dénoncer cette barbarie», a déclaré l’ambassadrice vénézuélienne Crisbeylee Gonzalez à l’agence de presse officielle ABI.
Au milieu de la nuit, des patrouilles de l’armée ont commencé à parcourir les rues de La Paz et d’El Alto. En revanche, les policiers, dont de nombreuses unités s’étaient mutinées ces derniers jours contre le président Morales, n’effectuaient pas de patrouilles, sans que leur absence ne soit expliquée par leur commandement.
SOURCE : LIBERATION
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