Le franc CFA va devenir l’Eco, nom choisi pour la future monnaie unique des pays d’Afrique de l’Ouest. Un changement plus que symbolique : décryptage.
“C’est clairement la fin du franc CFA, et c’est en cela que c’est une décision historique”, salue Kako Nubupko. Ancien ministre togolais de la prospective, connu pour ses positions anti-CFA, l’économiste assure à L’Express que la transformation du franc CFA utilisé par huit pays d’Afrique de l’Ouest, annoncée samedi par les présidents français et ivoirien, constitue “l’événement économique majeur des 25 dernières années” dans cette région du monde. Soit le plus important depuis la dévaluation de cette monnaie par le gouvernement Balladur, en 1994, selon lui.
Le franc CFA va devenir l’Eco, qui est en fait le nom choisi pour la future monnaie unique des 15 pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). À sa création en 1945, franc CFA signifiait “franc des colonies françaises d’Afrique”. Après les indépendances des années 1960, le nom avait déjà évolué pour devenir “franc de la Communauté financière africaine”, pour les huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo). Mais ce nom restait perçu comme un symbole post-colonial.
Pour Kako Nubupko, le changement d’appellation n’est pas seulement cosmétique, car “la monnaie n’est pas une marchandise, mais une institution, elle a une dimension symbolique essentielle. Le franc CFA avait un parfum de colonie. Le fait de changer de nom permet de dire qu’on vient de couper le cordon ombilical reliant la France à ses anciennes colonies, à quelques jours du soixantième anniversaire des indépendances”.
Une annonce “embêtante sur le plan symbolique“
En revanche, les six pays d’Afrique centrale utilisant également le franc CFA (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine et Tchad), mais qui forment une zone monétaire distincte, ne sont pas concernés par cette réforme. “Ce n’est donc pas la fin de cette monnaie, plutôt sa fin partielle en Afrique de l’Ouest”, contrebalance auprès de L’Express Makhoudia Diouf, coordonnateur du collectif Sortir du CFA.
Cet enseignant sénégalais explique que son association est gênée “par la méthode, l’annonce étant faite en même temps que le sommet de la Cédéao au Nigeria“, samedi à Abuja. “C’est embêtant sur le plan symbolique que ce soit annoncé par les présidents français et ivoirien, note-t-il. Il aurait fallu que cela vienne d’un communiqué de l’ensemble des chefs d’Etat des pays concernés. On a l’impression que c’est une déclaration unilatérale du président de la Côte d’Ivoire qui a imposé sa vision des choses”.
Pour marquer symboliquement un changement de politique de la part de la France, l’Élysée et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire ont avancé plusieurs points, outre le changement de nom. La France va notamment se retirer des instances de gouvernance de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) où elle était présente. Il s’agit de “désamorcer les critiques”, selon lesquelles Paris continuait de dicter ses décisions dans ces instances via ses représentants, précise le palais présidentiel.
Autre point majeur de la réforme, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France, une obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France par les détracteurs du franc CFA. La BCEAO “n’aura à l’avenir plus d’obligation particulière concernant le placement de ses réserves de change”, selon l’Elysée. “Les banques centrales africaines pourront ainsi récupérer l’ensemble des réserves de changes pour les placer dans d’autres institutions financières”, se félicite Kako Nubupko.
La parité fixe, pourtant critiquée, est maintenue
Néanmoins, tout ne change pas. La parité fixe avec l’euro du futur Eco, est maintenue (1 euro = 655,96 francs CFA actuels), pour “éviter les risques d’inflation”, a expliqué le président ivoirien Alassane Ouattara. Cette parité est pourtant l’une des caractéristiques du franc CFA les plus critiquées par des économistes africains, selon lesquels l’arrimage à l’euro, monnaie forte, pose problème pour les économies de la région, beaucoup moins compétitives, qui ont besoin de donner la priorité à la croissance économique et à l’emploi plutôt que de lutter contre l’inflation.
Ces économistes plaident pour la fin de la parité fixe avec l’euro et l’indexation sur un panier des principales devises mondiales, le dollar, l’euro et le yuan chinois, correspondant aux principaux partenaires économiques de l’Afrique. “On ne veut pas d’une copie du franc CFA, confirme Makhoudia Diouf. Il faut rajouter une parité avec la Chine, qui est notre principal partenaire commercial, contrairement à la zone euro.”
Le Sénégalais souhaite également un abandon de la garantie de la France, Bruno Le Maire ayant confirmé que Paris conserverait son rôle de garant financier pour les huit pays de l’UMOA. “Si la BCEAO fait face à un manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises, elle pourra se procurer les euros nécessaires auprès de la France”, détaille l’Elysée. Cette garantie prendra la forme d’une “ligne de crédit”. “Avec le maintien de cette garantie, en attendant l’Eco, nous voulons éviter la spéculation et la fuite des capitaux”, a justifié Alassane Ouattara.
Reste la question du processus de mise en place de cette monnaie unique. Les pays de la Cédéao ont évoqué l’année 2020, mais sans fixer de calendrier précis. Au sommet de la Cédéao samedi, Zainab Shamsuna Ahmed, la ministre des Finances du Nigeria – poids lourd économique régional – a estimé que la mise en œuvre de l’Eco en 2020 n’était “pas certaine”, jugeant qu’il restait “encore du travail à faire pour répondre aux critères de convergence”.
Afrique de l’Ouest : le franc CFA se transforme en Eco
“C’est encore transitoire, rebondit l’économiste Kako Nubupko. J’espère que la monnaie sera attachée à un panier de devises. Mais ce sont des discussions techniques, qui peuvent se faire de manière plus reposée et rationnelle, maintenant que l’on a réglé la question symbolique.”
SOURCE: l’express
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