Dans son dernier ouvrage « L’Impérialisme postcolonial, critique de la société des éblouissements », Joseph Tonda sociologue gabonais et enseignant à l’université Omar-Bongo de Libreville dénonce, à la suite de Guy Debord, une société du spectacle techno-capitaliste qui éblouit ses sujets. Considéré comme la base d’un capitalisme rendu plus grand par l’avènement technologique, ce système mutant s’attaque aux déshérités, en leur faisant miroiter à travers les écrans, les mirages d’une utopie de l’autre côté de la Méditerranée. Une « afrodystopie » présente selon le sociologue gabonais, dans les nombreux contenus culturels déversés sur tout le continent : des clips érotiques de chanteuses comme Nicki Minaj jusqu’au récent succès cinématographique de Black Panther. Bienvenue dans une néocolonisation de l’imaginaire aux conséquences bien réelles. Aujourd’hui, les écrans de téléphones, d’ordinateurs ou de télévision sont considérés comme un prolongement de ce que le capitaine Thomas Sankara qualifiait « d’impérialisme ». D’après l’ecrivain gabonais joseph Tonda « toutes les situations de colonisation sont des situations de rencontre. Chacun voit l’autre en fonction de son histoire et de sa culture, son écran en quelque sorte. Les Européens, blancs, en venant en Afrique, ont vu des diables, des bêtes. Les Africains noirs, eux, ont vu des fantômes de leurs ancêtres. Cette rencontre a produit ce que j’appelle un éblouissement, une subjugation qui a emprisonné les Africains dans la soumission » dit t-il. Ces éblouissements qui se transmettent aujourd’hui par les écrans, devenus dispositifs perpétuant la colonisation. Cela ne concerne pas que les Africains. Aujourd’hui, la civilisation de l’écran est mondiale. Tout le monde est exposé à leurs éblouissements. Il faut voir derrière ces écrans un outil idéal de reproduction du capitalisme, un spectre qui colonise l’inconscient de tous et modifie nos comportements. Dans son dernier livre dans lequel il prend en exemple la star américaine Nicki Minaj et son clip suggestif Anaconda, situé dans une forêt africaine, le sociologue de l’université Omar Bongo estime que cette vedette de la musique américaine adulée par de nombreuses jeunes africaines est l’exemple même de l’éblouissement capitaliste. « Femme afrodescendante devenue instrument d’un néolibéralisme où chacun est à la fois producteur et marchandise, Nicki Minaj a des clones à Brazzaville, à Kinshasa, à Douala, à Libreville » s’insurge t-il. La réalité est palpable car vous voyez des filles qui s’habillent et se comportent comme elle dans la majorité de nos capitales africaines. Cette colonisation qui ne dit pas son nom se démultiplie et se dissémine. Ces filles séduites, voulant lui ressembler, deviennent des agents de promotion et de vulgarisation d’une culture capitaliste qui n’est pas africaine. Un colonialisme culturel donc la particularité est la non-violence car Il fonctionne à la fascination, à la séduction, à l’éblouissement. Pour le spécialiste de la culture, de la société et de la politique Gabonaise et congolaise, « Les écrans sont devenus outils de travail comme de divertissement. Ils occupent nos journées et nos nuits. Nous nous bombardons d’images en permanence, volontairement. Nous participons activement à notre propre colonisation ». Une situation qui ne demeure pas sans risque pour l’Afrique et l’africain. L’auteur du Le « souverain moderne: le corps du pouvoir en Afrique centrale, Congo et Gabon. Paru aux éditions Karthala, » pense que : « Le risque, c’est de réaliser ce que Guy Debord avait conceptualisé dans La Société du spectacle, ce que j’appelle aujourd’hui la société des éblouissements ». Dans La Société du spectacle, Debord disait que la réalité s’éloigne dans la représentation, que nous vivons une dépossession de notre réalité. « Dans la société des éblouissements, le réel ne s’éloigne pas mais s’incorpore, s’intériorise à travers les images-écrans que nous absorbons » selon joseph Tonda. Au Gabon comme dans plusieurs autres pays africain, ce système semble avoir ses ambassadrices déjà musicalement bien implanté. De créole à lady ponce en passant par Eudoxie Yao, la liste n’est pas exhaustive. La déviance vestimentaire, les dépravations des mœurs et les dérives comportementales des jeunes africains sont autant d’éléments qui témoignent de leurs adhésions. Cette nouvelle forme de colonisation qui gagne du terrain en Afrique est née selon joseph Tonda au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec l’essai atomique américain sur l’île de Bikini. Il va plus loin en précisant « Un couturier français, Louis Réard, a décidé d’appeler son nouveau vêtement, très osé pour l’époque, le bikini, car il souhaitait produire le même effet d’éblouissement que la bombe nucléaire avait eu sur le public. D’un instrument de mort massive, il en a fait une métonymie sexuelle, de la fascination et de la séduction. « Bombe » au sens sexuel est ensuite entrée dans le langage courant ». Face à cette menace qui semble remettre en cause la souveraineté culturelle des états africains, l’écrivain fait cette proposition en termes de solution « C’est une voie possible. L’Afrique doit sortir de la nuit pour se projeter dans le futur, anticiper. L’anthropologue. Roger Bastide disait que ce qui caractérise la civilisation occidentale, c’est que, devant une situation dystopique, elle se projette dans le futur en créant des utopies, alors qu’en Afrique, devant une situation semblable, elle s’enfonce dans la nuit, croyant y trouver des réponses. Frantz Fanon avait fait remarquer que dans la transe nocturne, l’Africain trouvait une solution provisoire ou dérisoire lui permettant de résister. Un moyen de résilience devant la dureté de la situation coloniale. Ce qui va permettre de se décoloniser, c’est l’instruction, la réflexion et l’intelligence de nos peuples capables de se regarder en face plutôt que de regarder les écrans. A chacun de se faire sa petite idée et d’opérer le bon choix afin que l’Afrique retrouve ses lettres de noblesse Pablo GUISSAMBA.]]>
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