À l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Nelson Mandela célébré à Johannesburg, l’ancien président Obama a fait résonner les mots de Madiba. Ce 17 juillet, veille de la célébration annuelle de l’anniversaire de la naissance de Nelson Mandela, né le 18 juillet 1918 à Mvezo, c’est à l’ancien président américain Barack Obama qu’est revenue la lourde tâche de prononcer le discours qui doit être le point d’orgue d’un long mois de juillet de recueillement. Un moment historique pour beaucoup de Sud-Africains, car les deux hommes ont été les premiers Noirs à accéder au pouvoir dans deux États qui ont tous deux connu l’apartheid. Au centre de tous les discours prononcés lors de cette cérémonie qui se voulait très festive : l’héritage de Madiba. En effet, vingt-huit ans après la libération de Mandela, cinq ans après sa mort, la question de ce qu’il aura laissé aux générations qui ont suivis se pose toujours avec force à la lumière des inégalités criantes en Afrique du Sud, mais aussi au vu des risques actuels qui pèsent sur les démocraties occidentales comme dans le reste du monde, il y a comme une urgence de retrouver plus qu’un leader… des idées neuves. Obama, un choix pour l’Histoire Barack Obama a fait relativement peu d’apparitions publiques depuis qu’il a quitté la Maison-Blanche en 2017, mais il a souvent cité Mandela comme source d’inspiration dans sa vie. C’est au stade Wanderers Cricket à Illovo, près de Johannesburg, qu’il a par ses mots fait résonner la voix de Mandela, « le dernier grand libérateur du XXe siècle ». Pour la Fondation Nelson Mandela, « Obama n’est pas un leader parfait, il n’a pas un héritage parfait. En fait, son héritage est aussi contesté que celui de Madiba. Les gens remettent en question ce qu’il a fait, les décisions qu’il a prises, et nous sommes une plateforme qui donne aux gens l’occasion d’interroger ces héritages. C’est pourquoi nous voulions qu’il vienne ici », a déclaré Luzuko Koti au quotidien Times basé en Afrique du Sud. Chaque année, la Fondation Mandela confie à un invité de prestige le soin de prononcer un discours à l’occasion de l’anniversaire de « Madiba », né le 18 juillet 1918 et décédé le 5 décembre 2013. Le choix de Barack Obama n’était donc pas si évident, et l’ancien président n’était pas non plus en terrain conquis quand on sait combien l’héritage de Mandela est contesté par une importante frange de la population, notamment les plus pauvres, les Noirs ou encore les déçus de l’ANC se sentant trahis par ce choix du vivre-ensemble. Quelque 15 000 personnes, dont des invités de marque comme la dernière épouse de Nelson Mandela, Graça Machel, l’ex-présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf ou encore l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan étaient présents. Le président Cyril Ramaphosa a lancé à la foule impatiente : « C’est parce que Barack Obama a accepté de venir que beaucoup d’entre nous sont ici aujourd’hui. » Avant d’entrer dans le vif du sujet : « Nous nous souvenons de Madiba pour son dévouement envers les gens. Sa vision et ses valeurs sont universelles. Elles traversent aussi le temps. » La foule se lève, applaudit et psalmodie des chants en l’honneur du nouveau chef de l’État sud-africain. La foule exulte et scande le fameux « Yes we can » avant l’arrivée en pleine lumière d’Obama. La conférence de Barack Obama est intitulée « Renouveler l’héritage de Mandela et promouvoir la citoyenneté active dans un monde en évolution ». Elle intervient un an et demi après son départ de la Maison-Blanche. Son entourage l’a présenté comme son discours le plus important depuis sa retraite politique. « L’occasion de livrer un message de tolérance, d’inclusion et de démocratie à un moment où l’héritage de Mandela est remis en question dans le monde », a précisé son conseiller Benjamin Rhodes au New York Times, une allusion directe à la politique de son successeur à la Maison-Blanche, Donald Trump. Les dangers d’un « nouvel ordre économique » déséquilibré Sur un ton posé, Obama a choisi chacun de ses mots : « À l’occasion du 100e anniversaire de Madiba, nous sommes à la croisée des chemins, un moment où deux visions très différentes de l’avenir de l’humanité rivalisent pour savoir qui nous sommes et qui nous devrions être », débute-t-il. Et Barack Obama de souligner que « dans leurs relations d’affaires, de nombreux géants de l’industrie sont de plus en plus détachés de tout État-nation. Ils vivent de plus en plus isolés des gens ordinaires », ajoute-t-il. En conséquence, leurs décisions de « fermer une usine » ou de transférer leur argent dans un paradis fiscal sont « souvent sans malice », considérées simplement comme une « réponse rationnelle » aux demandes des actionnaires. Le nouvel ordre économique dans le monde a conduit à la corruption à une « échelle épique », a jugé Obama. Les discriminations, le racisme sont à dénoncer partout, selon Obama C’est un « fait évident » que la discrimination raciale existe toujours aux États-Unis et en Afrique du Sud. Il y a aussi des « disparités béantes » en matière de revenu et de richesse, a-t-il renchéri. Pour beaucoup de gens, plus les choses changent, plus les choses restent les mêmes », ajoute-t-il. Les structures précédentes du pouvoir qui ont fait usage de la discrimination n’ont jamais complètement disparu. C’est un fait évident que le racisme existe toujours. La politique des forts est partout. Ceux qui sont au pouvoir cherchent à saper toutes les institutions qui donnent un sens à la démocratie. Obama se réfère à l’équipe de football française pour démontrer pourquoi les gens ne devraient pas être discriminés sur la base de la race. « Nous devrons être plus imaginatifs… pour protéger la sécurité économique et la dignité de nos concitoyens. Les gouvernements autoritaires aboutissent toujours à une stagnation économique, politique, culturelle et scientifique, qui finit par être consumée par la guerre civile ou la guerre extérieure. » Alerte sur les démocraties « Nous devrons travailler plus fort, plus dur, et travailler plus intelligemment », ajoute-t-il. Barack Obama dit qu’il « croit en la vision de Nelson Mandela » pour l’avenir du monde. « Je crois que nous n’avons pas d’autre choix que d’aller de l’avant… Je crois que c’est basé sur des preuves tangibles que les sociétés les plus prospères du monde sont celles qui se rapprochent le plus de l’idéal progressiste libéral dont nous parlons. » Aux États-Unis, l’effet dévastateur de la crise financière de 2008 – et le comportement irresponsable des élites – a rendu les gens sceptiques, ajoute-t-il. « La politique de la peur et du ressentiment a commencé à faire des ravages. » Il ajoute qu’il n’est pas alarmiste, et qu’il ne fait qu’énoncer les faits. À l’ère de la politique des hommes forts, seul un semblant de démocratie est maintenu, dit Obama. « Vous devez croire aux faits », dit-il à la foule. « Sans faits, il n’y a pas de base pour la coopération. Si je dis que c’est un podium et que vous dites que c’est un éléphant, il nous sera difficile de coopérer », s’amuse l’ancien président. Il ajoute qu’il peut trouver un terrain d’entente avec des gens qui ne sont pas d’accord avec l’accord de Paris – que Donald Trump veut retirer aux États-Unis – s’ils ont un argument fondé sur des faits. Mais il ajoute : « Je ne peux pas trouver de terrain d’entente si quelqu’un dit que le changement climatique ne se produit pas, alors que presque tous les scientifiques du monde disent le contraire… Si vous commencez à dire que c’est un canular élaboré, par où commencer ? » Ce que Mandela peut nous apporter aujourd’hui « Tout comme les gens ont parlé du triomphe de la démocratie dans les années 90, les gens parlent maintenant de la fin de la démocratie. Nous devons résister à ce cynisme, parce que nous avons traversé des périodes sombres, nous avons été dans des vallées basses. » L’histoire de Mandela nous apprend cela, dit-il. « Ce voyage n’a pas été facile, il n’a pas été préordonné, l’homme est allé en prison pendant près de trois décennies. » Et pourtant, dit-il, son pouvoir s’est réellement développé à ce moment-là. « Il savait que, s’il restait fidèle à ce qu’il savait être vrai, alors, ça n’arriverait peut-être pas demain, ça n’arriverait peut-être pas la semaine prochaine, ça n’arriverait peut-être même pas dans ta vie, mais finalement la meilleure histoire peut l’emporter. Nous n’avons pas seulement besoin d’un leader… ce dont nous avons grand besoin, c’est cet esprit collectif », dit-il. « Aux jeunes, mon message est simple : continuer à croire, continuer à marcher, continuer à élever la voix. » Obama termine son discours par la fameuse citation de Mandela : « Personne ne naît en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de son passé, ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr, et s’ils peuvent apprendre à haïr, on peut leur enseigner aussi à aimer, car l’amour naît plus naturellement dans le cœur de l’homme que son contraire. » « Souvenons-nous de cette vérité, voyons-la comme notre étoile du Nord, de sorte que dans 100 ans les générations futures diront qu’elles ont maintenu cette marche », a conclu Barack Obama, ovationné par la foule. La longue marche de la nation arc-en-ciel vers plus de liberté Mais près d’un quart de siècle après la fin officielle de l’apartheid, l’Afrique du Sud a « juste entamé » sa « longue marche » vers la liberté, a estimé lundi Graça Machel, reprenant le titre de la fameuse autobiographie de son défunt époux La Longue Marche vers la liberté. « Nous avons encore un long chemin à parcourir », a-t-elle ajouté à l’AFP. « Je peux dire sans hésitation que ces célébrations du centenaire rendent Madiba heureux », a déclaré à l’ouverture de la cérémonie de ce mardi Graça Machel. Ajoutant que, même si le parti de Mandela et le monde le considéraient comme un héros, il se considérait comme un simple soldat, pas un prophète, mais un humble serviteur. « Des millions de personnes sont encore en vie aujourd’hui et n’étaient même pas nées quand Nelson Mandela est sorti de prison en tant qu’homme libre », note Graça Machel en réfléchissant sur l’héritage durable de Madiba et le besoin d’espoir dans le monde d’aujourd’hui. « La jeunesse de ce pays et du continent africain doit suivre les traces de Madiba vers la réalisation de la liberté économique et sociale », a-t-elle conclu. Machel a établi plusieurs parallèles entre Mandela et Obama, les décrivant tous les deux comme des hommes modestes, comme des « symboles de la victoire sur l’adversité. » À l’occasion du centenaire de la naissance de Madiba, sa fondation a appelé la population « à agir et à inspirer le changement » au nom du Prix Nobel de la paix. Les initiatives se multiplient : compétitions sportives, publication de témoignages de proches de Mandela, impression de nouveaux billets à son effigie… Cette année de festivités se conclura par un immense concert en décembre à Johannesburg avec les stars américaines Beyoncé, Jay-Z ou encore Pharrell Williams. Avant son étape sud-africaine cette semaine, Barack Obama a effectué une visite au Kenya, pays d’origine de son père. Il y a notamment confié des souvenirs de sa famille kényane et inauguré un centre de jeunesse conçu par sa demi-sœur. Obama effectuait son premier voyage dans le pays d’origine de son père depuis 2015. Alors président en exercice, il n’avait pas pu venir dans le village familial, car son avion était trop gros pour atterrir à Kisumu, sur les rives du lac Victoria, a-t-il rappelé avec humour. « C’est une grande joie d’être de retour auprès de tant de gens qui sont de la famille pour moi, et autant qui prétendent être de la famille. Tout le monde est un cousin », a-t-il plaisanté, déclenchant les rires de l’assistance. Avant lui, plusieurs autres personnalités, dont l’ancien président des États-Unis Bill Clinton et le milliardaire et philanthrope américain Bill Gates, ont prononcé le discours annuel de la Fondation Mandela. RAMA avec le Point Afrique]]>
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