ENTRETIEN. Directeur de la coopération au sein de l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen), Ali Zerouali revient sur l’initiative lancée avec la BAD pour développer les technologies du renouvelable dans onze pays. Il a fallu moins de 10 ans au Maroc pour s’imposer comme un champion africain des énergies renouvelables. Entre le lancement en 2009 par le roi Mohammed VI du plan solaire Noor (qui signifie « lumière » en arabe) puis l’ouverture en 2014 du plus grand parc éolien d’Afrique, le Royaume – très dépendant des importations d’hydrocarbures – a vu sa part du mix énergétique d’origine renouvelable s’élever à 34 % en 2017. Le voilà bien parti pour atteindre, voire dépasser, son objectif de produire 42 % d’énergie renouvelable (6 000 MW répartis équitablement entre l’éolien, l’hydraulique et le solaire) dans la consommation brute d’énergie en 2020. Un objectif relevé à 52 % à l’horizon 2030. À titre de comparaison, la France visait 23 % d’énergies renouvelables dans sa production d’électricité en 2020, dans le cadre du Paquet énergie climat 2020 de l’Union européenne adopté en 2008. Las, on ne plafonnait qu’à 16 % en 2016, contre 17 % dans l’Union européenne (UE), selon Eurostat. En 2030, au moins 32 % de la consommation devrait provenir des énergies renouvelables dans l’UE. Autant dire qu’il faut accélérer le rythme de la transition énergétique. La circulation de l’énergie en est un vecteur important. L’import-export d’énergie s’est ainsi étendu au Maroc lors de la COP22 de Marrakech de novembre 2016, avec la signature entre l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Maroc et le Portugal d’une déclaration conjointe visant à intégrer les marchés des énergies décarbonées – une interconnexion existait déjà entre le Maroc et l’Espagne. Cette feuille de route, baptisée SET (Commerce d’électricité durable), peut « contribuer de manière significative à la réduction des coûts des technologies des énergies renouvelables à l’échelle mondiale en créant les conditions de l’émergence d’une dynamique forte d’investissement dans le domaine », selon Ali Zerouali, directeur de la coopération et du Business développement international à Masen, l’Agence marocaine pour l’énergie durable. Outre l’Europe, comment la coopération peut-elle aussi s’articuler au sud du Maroc, en Afrique subsaharienne ? C’est la question que nous avons posée à Ali Zerouali, quelques semaines après la signature entre la Banque africaine de développement et Masen d’une lettre d’intention qui vise à déployer dans 11 pays ou zones de la bande sahélo-saharienne l’initiative « Desert to Power ». ement des projets solaires, de l’identification et la qualification des sites jusqu’au closing financier et la mise en service de la centrale solaire. La BAD quant à elle intervient en matière de partage de savoir-faire, de renforcement de capacités et d’expérience, d’assistance technique, de développement de projets dans les énergies renouvelables et de mobilisation des ressources nécessaires (montage de financements optimisés et appuis financiers pour le développement des projets solaires et l’investissement nécessaire). Onze pays sont pour l’instant concernés par cette coopération (Burkina Faso, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Soudan et Tchad). Pourquoi ces pays-là ? Est-ce lié à leur situation géographique dans l’espace sahélo-saharien, qui bénéficie d’un fort ensoleillement ? La situation énergétique dans ces pays est assez particulière. Elle se caractérise par un très faible niveau d’accès à l’électricité, ne dépassant pas 20 % au niveau national et 5 % en zone rurale dans certains pays. En tout, plus de 200 millions d’habitants souffrent d’un manque d’accès à l’électricité dans ces 11 pays, ce qui freine grandement leur aspiration au développement économique. En même temps, ils bénéficient de niveaux d’ensoleillement parmi les meilleurs au monde. Desert to Power vise donc à aider ces pays de la région du Sahel à développer une capacité solaire de 10 GW, transformant ainsi leur ressource solaire abondante en électricité, dans la perspective d’un accès à l’énergie à grande échelle et d’un développement économique soutenu et durable. Outre l’accès à l’électricité, d’autres applications sont aussi envisagées, à l’instar du pompage solaire (pompage d’eau grâce à l’énergie solaire, NDLR). Quelles sont les avancées dans ces 11 pays à ce jour ? Pour l’instant, Masen a engagé des coopérations avec cinq pays : le Burkina Faso, Djibouti, l’Éthiopie, le Nigeria et le Sénégal. L’état d’avancement des projets diffère d’un pays à l’autre. À Djibouti par exemple, nous travaillons avec le ministère de l’Énergie sur l’opportunité de développer du solaire thermique (conversion du rayonnement solaire en chaleur pour produire de l’électricité) avec un potentiel d’hybridation à long terme avec la géothermie (exploitation de la chaleur stockée dans le sol). Avec le Nigeria, nous travaillons avec le ministère de l’Énergie et l’Agence d’électrification rurale (REA) sur un projet de centrale photovoltaïque dans l’État de Jigawa. Au Burkina Faso, Masen est sollicitée sur un programme solaire plus étendu. Des discussions sont également à un état avancé avec quatre autres pays inclus dans l’initiative Desert to Power. L’expérience de Masen en matière de développement de projets d’énergies renouvelables et particulièrement de centrales solaires thermodynamiques (CSP) est de plus en plus demandée dans la région du Sahel. La courbe de la demande électrique – assez similaire à celle des pays du sud en général – connaît une pointe plutôt en soirée, ce qui induit le développement de capacité de stockage. Or, c’est le propre du CSP, qui en plus de produire de l’électricité pendant les rayonnements solaires a une capacité à stocker la chaleur, et donc d’assurer une électricité moins intermittente. Quand le soleil décline, on peut prolonger la production d’électricité de quelques heures. Cela revêt un intérêt d’une importance grandissante. La multiplication de projets dans les énergies renouvelables contribue-t-elle à faire baisser les coûts de l’électricité, qui sont parmi les plus élevés en Afrique ? Tout d’abord, il convient de souligner que l’Afrique est un continent très défavorisé en termes de coût de l’énergie. Sur notre continent, les pays les plus pauvres sont ceux qui paient l’électricité la plus chère au monde. Le coût moyen se situe au-delà des 20 à 30 centimes de dollars le kWh dans plusieurs d’entre eux. Il n’est pas surprenant que l’Afrique ait des difficultés à se développer. L’émergence d’un tissu industriel compétitif étant directement tributaire du coût de l’énergie, c’est sur cette problématique qu’il doit d’abord se concentrer pour construire les bases d’un développement économique durable, d’autant que l’Afrique bénéficie d’une abondance de ressources renouvelables (solaire, hydraulique, éolienne ou géothermique). Nous sommes également dans un domaine où la compétition entre les pays n’existe pas. Quand une énergie naturelle est perdue, elle est perdue pour tout le monde. Le défi est donc de comprendre comment transformer cette ressource en électricité de manière compétitive. À mon avis, il faudrait ainsi s’inspirer des réussites du continent pour dupliquer les schémas qui ont le mieux réussi. Chaque pays contribuera à son tour à l’amélioration et l’optimisation des schémas de développement pour le bénéfice de tous. En résumé, nous sommes condamnés à renforcer la coopération Sud-Sud si nous désirons enclencher sur le continent une spirale positive de baisse des prix et de démocratisation des énergies renouvelables. C’est un marché très évolutif, cela signifie qu’il faut constamment adapter son expertise ? En effet, mais il ne faut pas oublier que ce marché reste très jeune. Il y a encore moins de 10 ans, les énergies renouvelables ne séduisaient pas autant de monde, principalement en raison d’un coût élevé par rapport aux énergies fossiles. Aujourd’hui, le contexte est totalement différent. Grâce aux efforts d’industriels et de certains pays, les énergies renouvelables ont franchi un palier en devenant parmi les technologies les moins chères sur le marché. La technologie doit encore s’améliorer afin qu’elles puissent totalement remplacer les autres formes de production d’électricité. La rupture technologique passera certainement par le développement de solutions de stockage compétitives. Les business modèles également devront se réinventer. Les énergies renouvelables permettent d’envisager des productions décentralisées au plus près des zones de consommation et réduisent ainsi les besoins en infrastructure de transport. Les gestionnaires de réseaux et les législations devront s’y adapter. Les solutions de financement devront enfin se réinventer et innover afin d’accompagner au mieux le développement de ces technologies, soit prendre en compte les spécificités des pays en voie de développement sans les pénaliser en termes de coût. Source : Le Point Afrique ]]>
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