À l’approche de la présidentielle, l’analyste gabonais livre son évaluation des plans de relance engagés ces dernières années, et passe en revue les défis économiques et financiers que son pays doit relever. L’économiste et spécialiste en sécurité fi nancière s’est fait connaître de ses compatriotes par son blog, où il publie ses décryptages sans concession sur la situation économique et fi nancière du Gabon.
Diplômé en banque et fi nance de l’École supérieure de gestion de Paris et de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, le consultant livre à Jeune Afrique son analyse sur les handicaps, les atouts et les perspectives de l’économie gabonaise.
Jeune Afrique : Comment va le Gabon ?
Mays Mouissi :
L’économie gabonaise est convalescente. Elle a subi coup sur coup la crise post-électorale de 2016, les conséquences de l’AVC du président Ali Bongo Ondimba en 2018, la pandémie de Covid-19 et les confi nements en 2020, puis en 2021 et, plus récemment, les conséquences de la guerre Russie-Ukraine, en particulier sur les prix des matières premières alimentaires.Trop endetté pour investir et fi nancer directement des grands projets structurants, l’État gabonais a fondé toute sa stratégie de fi nancement des infrastructures sur des partenariats public-privé (PPP).
La mobilisation des fi nancements dans le cadre de ce type de partenariat est si longue que les travaux n’ont toujours pas démarré pour la plupart d’entre eux. Tout cela a donné un sentiment de stagnation, qui s’est traduit par des taux de croissance relativement faibles ces dernières années (entre 0 % et 3 %), loin des 7 % ou 8 % dont le Gabon pouvait se vanter entre 2012 et 2014.
Quel commentaire vous inspire l’exécution des plans engagés par les gouvernements qui se sont succédé ?
Analyser les différents programmes gouvernementaux mis en œuvre au cours des sept dernières années revient à porter un jugement globa sur le septennat d’Ali Bongo Ondimba [ABO]. Le PSGE [Plan stratégique Gabon émergent, 2009-2016] avait le mérite d’être structuré. Cependant, il n’a jamais réellement été mis en œuvre car les gouvernements successifs ont échoué à lui trouver des fi nancements adéquats. Quant au PRE [Plan de relance de l’économie] 2017-2019, sur les onze objectifs qui lui étaient assignés, seuls deux étaient atteints à la date d’échéance.
Enfin, le PAT [Plan d’accélération de la transformation 2021-2023] a tenté, tant bien que mal, de sauver les meubles à la fi n du septennat, mais c’était déjà trop tard. Quelques task forces mises en place dans ce cadre sont parvenues à des résultats honorables. D’autres, au contraire, par leur action, ont aggravé la situation déjà fragile de certaines entreprises en leur livrant une vendetta sans pareille.
S’il vous était donné de conseiller le gouvernement, dans quel sens orienteriez-vous sa politique économique ?
Il faut relancer durablement l’investissement public, réduire le train de vie l’État pour faire les économies nécessaires à cette relance ainsi qu’au financement des politiques sociales, et faire preuve d’ingéniosité pour élargir les sources de recettes, sans pour autant gripper l’appare productif. Ces trois actions me semblent indispensables pour qui veut remettre l’économie nationale sur les bons rails. Les cours du pétrole remontent.
Quel impact sur l’économie ?
Cette question, ainsi que la question inverse, sont récurrentes quand il s’agit du Gabon, et la réponse est toujours la même. La hausse des cours du pétrole accroît naturellement les recettes de l’État, tandis que la baisse des cours a des effets récessifs.Ces deux dernières années, le gouvernement a profi té de la hausse des cours et des recettes supplémentaires qu’elle génère pour réduire le poids de l’endettement. Je m’en félicite.
Et même s’il est important de poursuivre cet effort, outre les variations conjoncturelles du cours des hydrocarbures, ce qui me semble vraiment important pour l’avenir du Gabon, c’est la diversifi cation de son économie et des revenus de l’État. Or l’économie gabonaise demeure très peu diversifiée. Quelques progrès ont été enregistrés dans le secteur bois, mais c’est loin d’être suffisant compte tenu de ce qui est en jeu.
Croyez-vous qu’un modèle économique fondé sur le développement durable soit viable pour les pays pétroliers, et pour le Gabon en particulier ?
Ma conviction est que le développement durable et la préservation de la biodiversité vont devenir incontournables sur la planète, plus encore pour un petit pays comme le nôtre, qui ne peut rien imposer aux grandes puissances qui fi xent le tempo sur ces questions. La bonne approche est donc d’anticiper cela et d’en tenir compte d’ores et déjà dans nos modèles économiques. Si l’on y met les moyens et la volonté, il est possible de se développer tout en ayant une politique écologique vertueuse.Cela dit, le Gabon et les Gabonais n’ont pas attendu que les Occidentaux se rendent compte des changements climatiques pour développer par eux-mêmes une approche écologique. Nos modes de vies, nos pratiques ancestrales, notre rapport à la forêt et aux éléments de la nature ont toujours été teintés de respect et de volonté de préservation.
Selon vous, que faut-il faire pour lutter contre l’inflation et redonner du pouvoir d’achat aux Gabonais ?
Lutter contre l’infl ation dans un pays qui dépend de ses importations pour se nourrir n’est jamais chose aisée. Le gouvernement a déjà réduit le tarif douanier des produits de première nécessité. C’est une mesure de court terme et l’on voit bien que cela ne suffit pas.Des efforts supplémentaires peuvent être faits en matière de contrôle des prix. Des contrôles de la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes] ont montré que la mercuriale n’était pas toujours appliquée par les commerçants. Je pense également qu’il faut une action vigoureuse pour mettre fi n à la parafi scalité dont chacun peut mesurer l’impact sur l hausse des prix.
À moyen et long termes, il faut prendre les mesures idoines pour réduire la dépendance alimentaire du Gabon vis-à-vis de l’extérieur, optimiser le circuit de distribution, et fl uidifi er la logistique des transports de marchandises à travers le pays. Si notre gouvernement arrive déjà à réaliser cela, on aura fait un grand bond en avant.La dette publique, intérieure et extérieure, est-elle soutenable ? Le ratio dette/PIB était monté à plus de 75 % du PIB, alors que les critères de convergence de la Cemac fi xent le maximum à 70 %.
Des effort ont été faits, notamment dans le cadre du programme du FMI pour ramener le taux d’endettement entre 55 % et 60 % du PIB en 2022. La situation est moins tendue qu’il y a deux ans. Pour autant, l’agence de notation Fitch Ratings a maintenu la note souveraine du Gabon à B, dans la catégorie des dettes dites « spéculatives ». Elle s’est contentée de lui attribuer une perspective positive. Il faut donc maintenir l’effort de désendettement du pays et se montrer prudent à l’avenir lors du recours aux eurobonds.
Et s’agissant de la dette intérieure ?
Des discussions sont en cours pour mettre en place un cadre commun de remboursement des sommes dues aux entreprises avec le concours d’un intermédiaire fi nancier, dans le cadre du Club de Libreville [le groupement d’intérêt économique constitué par les créanciers de l’État et présidé par Henri-Claude Oyima, le PDG de BGFI]. Il aurait dû être lancé au début de 2023. Nous sommes en juin, et il n’est toujours pas mis en place. Nul besoin d’en dire plus.
JEUNE AFRIQUE
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