Le rendez-vous aura été riche en symboles. Au moment où le chef de l’Etat compte ses 10 années à la tête du Gabon, il a accordé une interview au quotidien l’union. Aucune question n’a été éludée ici. De son état de santé, à ses ambitions, en passant par les avancées, les erreurs du passé, et les réformes multisectorielles en cours, tout a été abordé. Ali Bongo Ondimba n’a pas fait dans la langue de bois. Lecture.
Monsieur le président de la République, vous avez traversé une période très difficile consécutive à des problèmes de santé, ce qui a suscité des inquiétudes. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Ali Bongo Onndimba :
Je me sens bien. Et de mieux en mieux chaque jour. Je veux remercier très chaleureusement le peuple gabonais pour son soutien et son affection dans l’adversité. Quand vous avez traversé pareille épreuve, vous prenez conscience de beaucoup de choses. Aujourd’hui, je suis plus que jamais déterminé à rendre à mon pays ce qu’il m’a donné, à lui être utile et le conduire vers un avenir meilleur.
Il y a dix ans le peuple gabonais vous confiait la conduite du Gabon et son destin. Quels sentiments vous animent aujourd’hui ?
Un sentiment de fierté, mais surtout d’humilité et de responsabilité. Depuis 2009, j’ai souhaité associer toutes les intelligences et les sensibilités du pays à la réussite de notre projet. Nous avons conduit ensemble des réformes majeures sur le plan économique, social et environnemental. Mais je ne me satisfais pas de ce bilan. Je suis conscient à la fois des difficultés qui continuent de peser sur la vie de nos concitoyens et du chemin qui nous reste à parcourir. Aujourd’hui, je voudrais que les réformes mises en œuvre passent à un niveau supérieur, et que les Gabonais en ressentent concrètement les effets dans leur vie quotidienne. La croissance, c’est bien. Mais la croissance, ça ne se mange pas !
Sur le plan politique, en 10 ans vous avez eu autant de premiers ministres que votre prédécesseur en plus de 40 ans. Certains y voient une forme d’instabilité dans le choix des hommes et des femmes pour vous accompagner ?
Dans une équipe, pour trouver la meilleure configuration, il faut parfois faire plusieurs essais. Ce qui compte pour moi, ce sont les résultats concrets de nos politiques publiques. Pas la stabilité gouvernementale. Je le répète, j’ai une seule obsession : les Gabonais doivent ressentir concrètement, dans leur quotidien, les effets des réformes. Les membres du gouvernement doivent être évalués et jugés à l’aide de la feuille de route et des objectifs qui leurs ont été assignés pour conserver leur place au sein du gouvernement de la République.
Sur le plan économique, beaucoup de choses ont été faites. Vous avez toujours fait de la diversification de l’économie votre cheval de bataille. En dix ans, les choses ont-elles suffisamment avancé ?
Si nous avons mieux résisté que les autres pays de la sous-région à la crise du secteur pétrolier, c’est bien parce que j’ai engagé ce mouvement de diversification dès 2010. C’est une action de long terme qui commence à porter ses fruits. En 2010, le secteur des hydrocarbures représentait 29,3 % de notre PIB. En 2019, seulement 21,7 %. Depuis 2010, le bois est transformé localement avant d’être exporté. Aujourd’hui, on importe même du bois pour le transformer au Gabon et nous sommes devenus le premier producteur de bois contre-plaqué en Afrique et le deuxième au niveau mondial. Le secteur des mines a suivi la même évolution avec la création d’une filière de transformation locale du manganèse. J’ai aussi mis l’accent sur l’agriculture, un secteur particulièrement important en raison de ses effets positifs sur l’emploi, la balance commerciale ou sur le développement territorial. Le secteur agricole est aujourd’hui le 1er employeur privé du pays. Il nous faut encore aller plus loin pour assurer notre indépendance alimentaire. C’est tout l’enjeu de la phase 2 du programme Graine que j’ai lancé ces dernières semaines.
Enfin, le Gabon occupe le 1er rang dans la sous-région en matière de technologie 4G. Notre pays est reconnu comme étant à l’avant- garde du secteur numérique et des télécommunications ? Que faut-il faire, Monsieur le président, pour booster l’emploi dans notre pays ?
Le meilleur moyen de retrouver le chemin d’une croissance qui soit profitable à tous, est de contribuer à créer des emplois dans le secteur privé, plus comme hier, dans le secteur public. Ce sont les entreprises qui sont créatrices d’emplois, et non l’Etat. Nous devons être capables, à court et à moyen terme, de créer 20 000 emplois par an dans le secteur privé formel afin d’intégrer au marché du travail tous les jeunes qui, chaque année, frappent à sa porte. Je mets aujourd’hui toute mon énergie pour que le Gabon attire davantage d’investissements étrangers. Nous avons tous les atouts pour cela. Cela implique bien évidemment, un environnement des affaires plus transparent, des règles juridiques plus claires pour les entreprises, une fiscalité plus attractive et des démarches administratives facilitées. Toutes choses que nous avons mises en œuvre au sein de la zone économique spéciale de Nkok et dont les résultats sont probants. Nous avons également ces dernières années encouragé une meilleure gouvernance, ainsi que l’entrepreneuriat à travers la mise en place d’incubateurs. Enfin, j’ai demandé que soit complètement réformé, en 2018, le système de formation pour privilégier l’enseignement technique et professionnel. Ce sont là des réponses claires à la problématique du chômage.
L’opération Mamba semble s’être essoufflée. Où en est aujourd’hui la lutte contre la corruption au Gabon ?
Jamais autant qu’aujourd’hui l’accent a été mis sur la lutte contre la corruption au Gabon. Je suis farouchement déterminé à ce que ce combat continue. Le Gabon ne saurait être à la traîne des exigences internationales. C’est une question d’éthique, de morale, mais aussi d’efficacité. L’opération Mamba reste plus que jamais d’actualité. Mais reconnaissons que conduire des enquêtes rigoureuses dans le strict respect des règles de procédure demande du temps et de l’objectivité. Et le temps de la justice n’est pas le temps médiatique, ni même le temps politique. Compte tenu de la gravité des faits reprochés aux personnes incriminées, il faut être extrêmement précautionneux. Mais notre appareil de lutte anti-corruption ne se résume pas à l’opération Mamba. Un ministre dédié à la lutte contre la corruption a été nommé en juin dernier. Et il y a quelques mois, j’ai promulgué un nouveau code pénal qui renforce les sanctions en matière de corruption. Ses dispositions sont parmi les plus sévères en Afrique. Toutes choses qui font du Gabon, un pays qui a décidé de prendre ses responsabilités sur cette question.
Concernant les infrastructures, on constate que l’élan pris au début de votre magistère s’est un peu ralenti. Et on déplore l’état de nos routes aussi bien au niveau des voiries urbaines que dans les grands axes reliant les localités du pays. Pourquoi ce relâchement et comment reprendre la dynamique initiale ?
75 % du réseau routier construit au Gabon depuis 40 ans l’a été ces dix dernières années. La plupart des voies qui traversent les quartiers de Libreville, d’Akanda et d’Owendo sont en chantier. Et nous avons achevé la construction de la route PK5-PK12 qui a totalement désenclavé les PK. Aujourd’hui en moins 15 minutes, il est désormais possible d’aller du PK5 au PK12. C’est un grand soulagement pour les usagers. Cependant, loin de moi l’idée de m’en satisfaire. Nous devons permettre à nos compatriotes de parcourir le Gabon en toute saison, permettre la circulation des personnes et des marchandises en tout point du territoire, désenclaver les localités de l’intérieur du pays. C’est l’ambition de la Transgabonaise, une infrastructure routière hors-norme de 780 km qui ira de Libreville à Franceville, en traversant cinq des neuf provinces du pays. Le financement est prêt. J’ai exigé que le démarrage des travaux intervienne au plus vite pour que les Gabonaises et les Gabonais puissent en saisir les opportunités dans les prochaines années.
Le Fond d’Initiative Départementale (FID) mis en place pour permettre le développement de l’intérieur du pays semble bloqué, car depuis son annonce, rien n’a concrètement bougé. Comment expliquer ce retard ?
En effet, aucun financement n’a à ce jour été octroyé en ce qui concerne le Fonds d’Initiative Départementale (FID). Le processus de validation des projets est long et minutieux. Les équipes en charge de ce dossier travaillent avec professionnalisme sur ce chantier prioritaire pour la vitalité de nos départements. Un nouveau ministre vient d’être nommé, et il est notamment chargé d’en accélérer la cadence.
Au niveau du ministère de la Fonction publique plusieurs recensements ont été effectués. En quoi celui initié par le ministre actuel est-il différent ?
C’est la toute première fois que dans notre pays, un recensement est entrepris avec la technologie biométrique. Celui-ci est beaucoup plus fiable que les précédents. Ce recensement permettra de moderniser nos systèmes de gestion des ressources humaines, avec une base de données sûre et un système d’information et de gestion plus efficace. Il est donc dans l’intérêt des agents publics et des usagers. Des économies seront ainsi réalisées. Elles permettront d’investir dans des domaines qui auront un impact direct sur le quotidien des Gabonaises et des Gabonais. Optimiser les dépenses publiques de fonctionnement et réduire le train de vie de l’État nous autorisent à investir davantage dans les infrastructures utiles et dans le social, comme la santé, l’assurance-maladie.
Le logement figure également au rang de vos priorités. Au terme de votre premier mandat, vous avez reconnu qu’on était très loin du compte. Les erreurs commises ont-elles depuis été corrigées ? Avez-vous trouvé des mécanismes plus efficaces pour faire face au déficit criant de logements sociaux dans notre pays ?
Notre ambition reste la même : loger les Gabonais, notamment les plus vulnérables, dans des conditions décentes. Je ne reviendrai pas ici sur les erreurs et errements du passé. En revanche, j’en ai tiré toutes les conséquences pour l’avenir, sur le plan politique comme administratif. Par exemple, la Société Nationale Immobilière (SNI), qui commercialisait les logements sociaux, a été jumelée avec la Société Nationale de Logements Sociaux (SNLS). Ce qui est plus efficace. Aujourd’hui, la SNI a relancé plusieurs chantiers et a entrepris de passer à la commercialisation des logements en l’état. Certains de nos compatriotes souhaitaient eux-mêmes construire alors que d’autres veulent simplement acquérir une parcelle de terre avec titre foncier. Le ministère de l’Habitat chargé de ces questions, a toute ma confiance, d’autant qu’il est désormais fortement appuyé par la Caisse des Dépôts et Consignation qui a fait du financement de la construction des logements l’une de ses priorités.
Sur le plan social, de nombreux efforts ont été réalisés, notamment dans le domaine de la santé avec la construction de structures hospitalières modernes, ou de la protection sociale avec la mise en place de l’assurance maladie. Cependant, il y a parfois un manque de médicaments et un sous-effectif de personnels spécialisés. Comment y remédier ?
La santé a toujours été pour moi une préoccupation et vous avez raison de souligner, que le gouvernement y a consacré de nombreux moyens. Concernant les nécessaires ajustements que vous mentionnez, j’ai instruit les services compétents en la matière, de me faire un point de situation sur l’expression des besoins en personnels et en équipements pour une prise en compte efficiente de ce dossier. Mon ambition est forte : je veux que les Gabonais disposent d’un système de santé moderne et performant.
D’après vous, quelles réformes ont eu le plus d’impact sur la vie quotidienne de vos compatriotes ?
Toutes les réformes sont utiles. Le fait de rééquilibrer nos finances publiques, réduire la dette et le déficit, le train de vie de l’Etat nous permet de dégager des marges de manœuvre pour réinvestir dans le social, la santé, l’éducation, et toutes autres questions jugées prioritaires. Les réformes ont pour vocation de changer voire de transformer la vie de nos compatriotes en améliorant leur quotidien. C’est pourquoi j’ai été si déterminé dans le déploiement de la couverture d’assurance-santé, via la CNAMGS, qui fait désormais partie de nos acquis sociaux. La gratuité des frais d’accouchement constitue également une avancée majeure pour nos compatriotes. De la même manière dans le domaine de l’éducation, la réforme sur l’orientation de nos jeunes vers des formations techniques et professionnelles aura un impact déterminant sur l’avenir de nos enfants. Enfin, je veux évoquer la place des femmes dans notre société, et donc le sujet de l’égalité hommes-femmes. Vous le savez, j’en ai fait d’emblée, ma priorité en décrétant les années 2010 ” décennie de la femme “. Les instances politiques ont été féminisées, que ce soit au niveau du gouvernement, à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi au niveau de la haute fonction publique. Promouvoir l’égalité hommes-femmes, c’est une question de justice sociale, mais c’est aussi une question d’efficacité collective. Plus le vivier de talents est large, meilleure sera notre Nation.
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