Monsieur le Président.Permettez au jeune compatriote que je suis de vous exprimer, tout d’abord, ma gratitude, pour ce qu’il est convenu de nommer le coup de liberté du 30 août dernier. Permettez, ensuite, à un moins que rien, de respirer, à travers ces mots qui vous sont adressés. Cette respiration, autrement qualifiée de liberté, je vous la dois, et avec moi, la majorité des Gabonais. Cela fait un peu plus d’un an que je respire, monsieur le président, un an que je frissonne en écoutant chanter l’hymne national ; un an que nous sommes, selon une expression empruntée à cet hymne national, et devenu emblématique, sur le chemin de notre essor vers la félicité.
Mais, Excellence, depuis peu, à nouveau, je respire mal. Je garde pour vous, comme beaucoup de mes compatriotes, un a priori positif depuis votre entrée en politique, car, vous êtes depuis votre prise de pouvoir devenu un homme politique. Et si, pour l’heure, votre politique recueille l’approbation de la majorité des Gabonais, il n’en demeure pas moins qu’elle semble de moins en moins facile à saisir pour ceux qui, comme moi, Makaya, n’ont pas fait le CP1 ou l’on mal fait. Mon devoir, en tant que citoyen, est d’exprimer ma pensée, et non un sentiment. Les sentiments, comme chacun sait, pensent mal. Cette liberté, vous l’avez permise, vous avez ouvert ses vannes et il semble désormais difficile de composer sans elle.
Excellence, je refuse d’être le complice de ces compatriotes qui se complaisent dans la critique facile, dans le confort de leur certitude, et noient le poisson dans l’eau. Je ne veux pas être l’auxiliaire passif de ceux qui jubilent lorsqu’un compatriote échoue, de ceux qui triomphent dans le malheur des autres et préparent déjà le désamour des Gabonais à votre endroit. Je refuse de mêler mon nom, par défaitisme, à la masse informe qui hurle avec les loups, parce qu’ils sont frustrés, parce qu’ils ont faim, ou parce qu’ils attendent l’homme providentiel. Je sais, du haut de mon niveau CP1 que seul le peuple providentiel fait la démocratique ; que seuls des citoyens constituent une République. Que l’on fasse donc ma culture si on me prend en défaut.
Monsieur le Président, nombre de mes compatriotes, assis sur leur narcissisme, les pieds dans la gadoue politicienne que vous avez promis de nettoyer, pèchent par rancœur, paresse intellectuelle ou par manque de mémoire, et puis échafaudent des théories à charge ou des contre-arguments, voire des fantasmes pour conforter leurs propres limites. Ils conjuguent leurs propres défauts au passé composé, et vous les font porter au présent de l’indicatif. C’est le lot du chef, diriez-vous ; dont acte. Il me vient l’envie de citer un intellectuel gabonais que vous connaissez, en la personne de Guy Rossatanga-Rignault, qui a posé l’interrogation suivante, au cours d’une rencontre littéraire à l’Université Omar bongo : comment peut-on bâtir une Démocratie sans démocrates ? Je m’en vais de ce pas sur ce chemin. Comment construire une République sans républicains ? Comment bâtir le Progrès sans progressistes ? Là se joue le drame de notre pays. Et à ce niveau, la postérité vous attend, Excellence ; elle vous a, d’ores et déjà, donné rendez-vous à ce sujet.
Monsieur le Président, l’oliguisme, ce substrat conservateur qui vous suit partout, qui temporise vos discours, qui accompagne vos actions, et vous colle au train est un pdgisme comme un autre. Pour paraphraser un certain André Tolmere, nous avons hérité du « vide politicien absolu, et du déficit politique total ». Je n’ai pas oublié le discours solennel et mémorable prononcé à la présidence de la République à l’issue de votre prise de pouvoir. Je n’ai pas oublié cette nuit historique. Je sais où j’étais et ce que je faisais quand vous et ceux qui vous accompagnent avez tourné une page sombre de l’histoire de notre pays. Le régime déchu que vous avez fait tomber ne donnait aux Gabonais que ce dont ils disposaient, à savoir le mépris, la misère, l’arrogance et l’humiliation. Sur le principe qu’on ne donne que ce qu’on a, comment leur en tenir rigueur ? Ils n’étaient riches que de ce dont ils nous abreuvaient. Et nous avons mangé et bu jusqu’à plus soif. Nous les avons bus. Ici, je troque volontiers le pronom personnel car, comme moi, mes compatriotes, majoritairement, nous avons vomi (avec vous ?) cette tambouille politicienne vieille d’un demi-siècle au lendemain du 30 août 2023.
Monsieur le Président, mon intérêt pour la politique est récent. Comme beaucoup, je me satisfaisais de ce désintérêt, lequel était nourri par l’ancien régime. Mais j’ai réalisé que ne pas s’intéresser à la politique c’est aussi absurde que de ne pas s’intéresser à l’air que l’on respire dans le cadre d’un environnement malsain. Et grâce à vous, je puis à nouveau aspirer, inspirer puis expirer. Mais, Excellence, tenez ce qui suit comme mon expiration citoyenne : prenez garde à l’oliguisme. Il n’est que l’avatar d’un conservatisme mortifère. L’oliguisme. Ce néologisme ne signifie pas uniquement ce qu’on a coutume d’appeler le kounabélisme, il épingle aussi le management politique dont vous avez hérité. L’oliguisme est un pdgisme, et le pdgisme est cette clochardisation de l’État qui a fait de ce pays ce qu’il est, pardon, ce qu’il n’est pas. Le pdgisme, comme chacun sait, est la folklorisation de l’État, la patrimonialisation de ses ressources, la balkanisation de ses énergies, en voici son principe. On a bu jusqu’à plus soif, et vous aussi, manifestement.
Excellence, nous avons hérité du vide politicien absolu, et du déficit politique total. Et dans cette période confuse et fondamentale de transition, votre ennemi c’est l’oliguisme. Il vous mène un combat acharné, à l’ombre des courtisans de toutes sortes, des conservateurs et des leaders sans leadership. Méfiez-vous de ses chantres qui proclament leur amour à votre égard, à défaut de leur déférence à la fonction que vous occupez. Ils kounabélisent votre action politique et vous construisent des châteaux de cartes. L’opacité règne. Certes, tout pouvoir a besoin d’une distance vis-à-vis de son objet ; loin de moi la naïveté de prêcher pour une tyrannie de la transparence. Mais je suis d’une nouvelle génération, monsieur le président, et ici mon je est un nous. Nous sommes de cette génération à qui vous avez permis de respirer ; nous sommes en quelque sorte votre production. Et si quelques-uns parmi nous, nostalgiques du passé, reproduisent les mêmes schémas qu’autrefois, que Dieu leur fasse miséricorde. Excellence, nous sommes en transition. Mais en transition vers quel avenir si le passé avec son lourd passif nous tient lieu d’avenir ? Pour employer la métaphore militaire, je dirai ceci : si le fusil a changé d’épaule, mais que l’angle de tir est demeuré le même, parviendrons-nous à toucher notre cible ? La restauration des Institutions peut-elle suffire comme programme politique ? Le pays respire, certains ont recommencé à rêver. Et le rêve est important. On sait ce que rapporte politiquement et culturellement aux USA la foi au rêve américain. On aimerait que n’importe quel petit Gabonais puisse devenir quelqu’un d’important, manger à sa faim, se soigner correctement, habiter dans un logement décent, et réussir dans la vie s’il travaille dur ; et non parce qu’il aura été du bon parti politique, de la bonne province, du bon réseau, etc. Monsieur le Président, du haut de mon insignifiance, permettez que j’exprime à ce niveau ma crainte. Deux écueils vous guettent. Le premier, c’est la tentation de gouverner à la verticale, au risque d’une pratique autocratique, donc sans opposition, avec tout ce que cela peut comporter comme dérives. Car le pouvoir total corrompt totalement. On le sait. Vous le savez. Et le second écueil est celui d’incarner le renouveau populiste et populicide, avec le fantasme d’être aimé de tous.
Pendant un demi-siècle au moins, la politique (politicienne) a été le poison de ce pays, quand en sera-t-elle l’antidote ? Vous seul, Excellence, saurez répondre à cette question au rendez-vous que vous avez pris avec la postérité. Il y a deux types de personne qui font l’histoire, à mon avis. Monsieur le Président, souffrez qu’un moins que rien fasse son petit ngounda-ngounda sémantique. Il y a ceux qui font l’histoire par leur talent et leur volonté, contre vents et marées, gravissant les montagnes, bravant tous les dangers pour parvenir au sommet. Napoléon est l’incarnation de ce type de destin. Et il y a ceux qui, en dépit de leur talent, de leur courage, se retrouvent au carrefour de l’histoire, sont portés par elle puis prennent le relais, incarnant l’esprit du temps, et puis volent vers les sommets. De Gaulle me semble représenter le mieux cette seconde consécration.
Monsieur le Président, vous êtes de cette seconde, et non moins noble, catégorie. Si votre coup de force est à mettre à votre crédit, ainsi qu’au crédit du CTRI, il est également à mettre au crédit du peuple gabonais qui, parvenu à un point de non-retour a fait le lit contextuel de votre action. Le peuple gabonais dans la lente gestation de sa révolte, sans cesse contenue, n’attendait qu’un coup de pouce de l’histoire pour matérialiser son soulèvement. Ce coup de force salutaire, opérée selon vos propres mots pour des raisons personnelles, s’est appuyé sur un levier contextuel indéniable. Il n’y avait que dans l’esprit des gens bornés la conviction que ce pays allait reproduire les mêmes formules ad vitam aeternam ; piètre relais immobile. Votre Excellence, la nuit du 30 août a eu lieu. Elle s’est bien produite. Nous ne l’avons pas inventée. Mais, depuis peu, des voix autorisées (par qui ?) prennent l’opinion à témoin, affirmant que la nuit du 30 août n’a pas eu lieu. Je n’en crois rien. Mais vous connaissez la formule : répétez un mensonge un millier de fois et on finira par y croire. Je refuse cette logorrhée de hyènes assoiffées de sang. J’ose croire que je me nomme légion à ce niveau ; autrement dit, nous sommes une majorité à croire que le coup de libération a eu lieu, on monte, on descend. Et nous en gardons les frissons pour la postérité.
Excellence, vous avez bénéficié de deux cadeaux exceptionnels de la part de l’histoire. Ou est-ce un présent offert par la providence ? Le premier cadeau, c’est l’état dans lequel vous avez trouvé notre pays. Un coup d’œil sur les indicateurs sociaux et économiques le prouve. Notre pays est si déliquescent que même avec beaucoup d’effort, vous ne pourrez pas faire pire. Le fond étant atteint, vous ne pouvez que remonter. C’est un cadeau exceptionnel que vous avez là. Le second cadeau que vous a offert la providence, c’est la nouvelle génération de Gabonais, des citoyens en puissance, incarnée peu ou prou par des figures influentes sur les réseaux sociaux. Ce n’est point avec des émotions, ou avec une somme de « likes » conséquente que l’on gouverne un pays, certes, mais en l’absence d’une presse libre et d’un contre-pouvoir authentique, les réseaux sociaux sont cette plateforme dans laquelle la démocratie peut se manifester aujourd’hui. Cette génération à laquelle j’appartiens, plus exigeante que les précédentes, sera davantage active sur le terrain politique avec ou contre vous, selon l’intérêt national. Un cadeau de cette nature n’est attribué qu’en de rares occasions. Un éminent historien américain, Howard Zinn, pour ne pas le citer, a dit : critiquer le gouvernement est la plus grande forme de patriotisme.
Si votre Excellence compose avec cette génération, nul doute que vous saisirez l’occasion inespérée d’incarner la grande figure d’homme d’État que notre pays attend depuis. Je souhaite que vous soyez cet homme, monsieur. Vous avez, me semble-t-il, l’étoffe et les moyens de réussir. La politique est au cœur de la cité, elle est le cœur même de la cité ; et la cité gabonaise exhale encore des relents nauséabonds. Vous l’avez dit, c’est le moment de changer de mentalité, alors proposez-nous une nouvelle politique. On ne peut conserver le même modèle de management politique, les mêmes règles du jeu, et espérer un renouvellement de mentalité. Nous sommes des vôtres, et nous nous reconnaissons en vous. Mais nous ne sommes pas seuls, et la liberté n’est jamais acquise. Certains d’entre nous saignent encore, et majoritairement, depuis peu, nous peinons à l’idée que les gens qui nous ont blessés hier aient leur mot à dire aujourd’hui sur la façon dont on souhaite nettoyer nos plaies.
Monsieur le Président, je suis de cette majorité qui même sans diplôme (en faut-il pour aimer son pays ?) veut se construire en construisant son pays. Je suis de cette multitude, hélas encore spectatrice qui, même sans emplois, sans moyens, dans les maquis ou dans le taxi-bus, travaille à penser autrement. Et cela passe par l’expression d’un patriotisme décomplexé. La démocratie présuppose la transparence, elle n’est que tour de magie sans une presse libre et non propagandiste ; elle n’est qu’un gri-gri sans citoyen susceptible de s’informer, de se former et puis d’interagir sur le champ politique ; elle n’est qu’un enfumage sans un parlement véritable, et non pas un ramassis de godillots nimbés d’une aura politicienne révolue ; elle n’est qu’un slogan sans l’esprit critique que sous-tend la liberté et les contre-pouvoirs. L’un n’ira pas sans l’autre. Vous n’irez pas sans nous. Et nous n’avancerons pas sans vous. Nous sommes la génération de votre pouvoir, et nous avons soif de notre pays. Mais cette lettre est longue, monsieur le président, il est temps d’y mettre un terme. Pardonnez ma longue bouche. Excellence, ne nous faites pas rêver, faites-nous travailler ; ne vous souciez pas qu’on vous aime, souciez-vous plutôt de la postérité ; ne nous faites pas danser (on l’a tant fait), faites de nous des citoyens ; ne nous faites pas peur (on en a assez), faites de nous des adultes politiques ; ne nous offrez rien gratuitement, faites-nous mériter votre ministère. À la question de savoir qui je suis, je paraphraserai la sublime formule de l’intellectuel français Jean Paul Sartre en la gabonisant : « tout un Gabonais fait de tous les autres, qui les vaut tous, et que vaut n’importe quel Gabonais ». Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de mon profond respect.Honneur et fidélité à la patrie.
Marcel Nguiayo Effam,L’écririen
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