Le projet de nouveau Code du Travail en république Gabonaise suscite la controverse chez les travailleurs gabonais et les principales formations syndicales qui le jugent mortifère pour le travailleur. Dans un entretien exclusif accordé à un média locale , le secrétaire général adjoint de l’Organisation des employés du pétrole (ONEP), Sylvain Mayabi-Binet s’en explique.
Direct Infos : Il y a comme de l’électricité dans l’air depuis qu’on évoque le projet d’un nouveau Code du Travail. Pourquoi cette levée de bouclier ?
Sylvain Mayabi-Binet : Je vais commencer par vous avouer que le gouvernement a initié en août dernier des travaux de révision du Code du Travail. Neuf organisations à savoir l’ONEP, la COSYGA, la CGSL, l’UTG, la CSDT, la CSTG, la SYNADO et le SYNEC ont pris part et ont représenté l’ensemble des travailleurs.
Au cours de ces travaux, il y a eu une commission des travailleurs qui a produit un travail et qui l’a soumis au gouvernement. Il a consisté dans un premier temps à la restitution auprès des autres organisations de travailleurs qui n’étaient pas à ces assises et des représentations des travailleurs dans l’Ogooué-maritime.
C’est à la suite de cette restitution dans l’Ogooué-maritime que 13 organisations professionnelles des travailleurs se sont constituées et ont produit une déclaration à l’attention des hautes autorités pour exprimer leur sentiment sur ce que reflète ce projet du code de travail pour les travailleurs.
Qu’est-ce qui cloche dans ce projet de Code du Travail ?
Plusieurs choses clochent dans ce projet de code du travail. Mais notre attention est attirée par 3 principales.
Premièrement : le contrat de travail a été fragilisé. Comparativement au Code en vigueur, l’employeur devient maître du contrat de Travail du travailleur. Il peut décider de le rompre dans le cadre d’une situation individuelle ou collective sans l’autorisation de l’Inspecteur du Travail. Il peut décider, sans faute commise par un employé, de rompre le contrat de Travail si ce dernier refuse que l’un de ses avantages acquis (salaire, indemnité ou prime) soit remis en cause par l’employeur. Vous comprenez donc que même le contrat à durée indéterminée (CDI) qui est supposé être un contrat protégé ne l’est plus parce que l’employeur peut en disposer à tout moment.
Deuxièmement : dans le cadre des licenciements collectifs, le code actuellement en vigueur protège le travailleur. Si l’employeur veut faire un licenciement économique même d’un seul travailleur, il doit demander l’autorisation à l’inspection du travail en soumettant les éléments justificatifs de ce licenciement. Or, le projet du nouveau code donne la toute-puissance à l’employeur de décider de licencier de manière économique ou pour des raisons économiques une cinquantaine de travailleurs sans qu’il ait besoin de demander l’autorisation de l’Inspecteur du travail. L’employeur devient celui qui décide de sa rupture. Le contrat et les acquis sont fragilisés.
Troisièmement : Que ce soit dans le code en vigueur ou dans le projet de nouveau code, l’Inspecteur ne protège toujours pas le travailleur. Le gouvernement n’a prévu aucun mécanisme par lequel l’Inspecteur du travail dont l’une des missions principales est de faire respecter et de faire exécuter les lois en matière de Travail et de sécurité sociale. Mais dans le code du travail aucun mécanisme ne lui donne cette autorité. C’est encore un mal pour le travailleur.
Pour des situations où les acquis veulent être retirés, nous disons Non ! Pour des situations où le contrat du travail veut être fragilisé, nous avons dit Non ! Et pour des situations où l’inspecteur n’a toujours pas d’autorité, nous avons dit qu’il faut lui donner l’autorité nécessaire pour exercer ses missions régaliennes.
Vous êtes allés à la rencontre des parlementaires. Quelles sont les suggestions que vous leur avez faites ?
Pour que ce projet de code du travail soit acceptable, nous avons suggéré que les dispositions actuelles concernant le contrat du Travail qui sont suffisamment claires ne soient pas changées. Nous leur demandons simplement de les transposer dans le nouveau code.
Les dispositions qui protègent les droits des travailleurs dans le code en vigueur sont suffisamment claires. L’exemple de l’article 13 de l’actuel code qui stipule : « tous les avantages acquis par un travailleur que ce soit par les usages, par les us, par les accords internes ou par les négociations collectives sont protégés et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession par la volonté de l’employeur ».
Pour nous c’est suffisamment clair. Cet article peut demeurer. On n’a pas besoin qu’on ajoute un nouvel article qui permette à un employeur de tout retirer.
Pour ce qui est de la protection du travailleur par l’inspecteur du travail, nous avons suggéré qu’on donne plus d’autorité à l’inspecteur du travail en lui retirant la mission de conciliateur. Un conciliateur, c’est celui qui emmène deux parties à s’entendre, mais il n’a pas l’autorité sur elles. On ne peut pas dire d’une part que « l’Inspecteur du travail est chargé de faire respecter et de faire exécuter la loi et en même temps on lui dit que quand l’une des parties a violé la loi et qu’ils viennent vers toi, tu les laisses s’accorder ; tu ne décides pas, tu ne tranches pas… ». Nous disons qu’on doit retirer à l’inspecteur, les missions de conciliation car elle le dénude de l’autorité de l’Etat. Une autorité ne peut pas être embrigadée dans la volonté des parties parce que la loi va au-delà de celle-ci.
Nous voudrions que dorénavant, on n’aille pas devant l’inspecteur pour une conciliation mais pour trancher en analysant les faits.
Quelles autres insuffisances avez-vous relevé dans le projet de Code du Travail ?
Le futur nouveau Code du Travail n’encadre pas le contrat à durée déterminée (CDD). Dans le contexte qui est le nôtre, le CDD est un contrat précaire. Il est utilisé par les employeurs pour aliéner les libertés des travailleurs. Ils ont un emploi, un poste et une activité permanente, mais ils mettent les travailleurs en CDD. Dans ce contrat, le travailleur est mis sous pression. Il est en permanence stressé et s’abstient de revendiquer de peur que celui-ci ne soit renouvelé par son employeur à la fin du CDD en cours alors que l’emploi qu’il occupe est au fond un emploi permanent dans l’entreprise. Ce travailleur vit dans une grande psychose et ne peut même pas prétendre à un crédit et n’a pas la possibilité de scolariser au mieux sa progéniture de peur de ne pas être capable de subvenir aux frais.
Nous avons proposé au gouvernement d’encadrer le CDD ; qu’il soit utilisé que pour des emplois non permanents, pour des emplois temporaires, pour des projets et des activités qui ne se renouvellent pas. Les contrats d’essais et autres sont déjà prévus dans le Code du Travail en vigueur.
Quelle est la durée légale d’un CDD et combien de fois un travailleur devrait le signer avant de passer en CDI ?
Les employeurs font un usage abusif du CDD, c’est pour ça que nous voulons l’encadrer. Le CDT prévoit que la durée maximale d’un CDD, renouvellement compris, est de 24 mois. Mais nous avons remarqué que les employeurs se séparent de leur travailleur dès que celui-ci a atteint 23 mois. Après quelques jours à la maison, on rappelle le même employé pour re-signer un nouveau contrat en CDD et ainsi de suite. S’il refuse, on embauche un autre demandeur d’emploi à sa place. On joue avec le CDD parce que l’employeur ne veut pas assumer ses responsabilités régaliennes sur ce qui est de la prise en charge sociale parce qu’avec un CDD on est libre de tout engagement social.
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