Notre rédaction s’est rapprochée du Dr Gildas Nzokou, Enseignant Chercheur permanent au Département de Philosophie à l’UOB et Membre du Centre d’Études et de Recherches Philosophiques, pour discuter de la politique de la recherche au Gabon, en y incluant des questions relatives à son financement. C’est très décontracté dans un bureau de d’environ 9 mètres carrés, que l’enseignant d’épistémologie s’est prêté à nos questions. Entretien. Qu’entend-on par politique de la recherche ? La politique de la recherche est un cadre général de décision dans lequel un État définit clairement ses objectifs de développement en les fondant sur une activité scientifique et technologique de haut niveau. La politique de la recherche est, de fait, un cadre de définition stratégique des priorités en matière de recherche et développement qui doit toujours répondre aux défis suivants : développer les activités scientifiques et technologiques ; mobiliser le potentiel humain et financier du public et du privé à des fins économiques et sociales, voire militaires et enfin, la répartition des ressources financières et matérielles de l’État en fonction des priorités qui auront préalablement été identifiées. Ensuite, à charge aux institutions universitaires et de recherche de mettre en actes cette vision générale de développement par la science et la technologie. Pour ce qui est du Gabon, le cadre administratif qui organise la recherche fondamentale et appliquée est le CENAREST qui se déploie à travers ses laboratoires et instituts de recherche. Le volet recherche et formation est, quant à lui, assuré par les universités du pays. Et ici, je vais fréquemment me focaliser sur la recherche en sciences humaines car ces dernières constituent mon domaine de travail au quotidien. Au niveau des universités, les activités pédagogiques sont appuyées par des activités de recherche fondamentale. Dans le jargon professionnel nous disons que les facultés sont adossées aux différents laboratoires et centres de recherches constitués par ses groupes d’enseignants-chercheurs, suivant les domaines d’excellence et les champs thématiques qui peuvent être transversaux et pluridisciplinaires. Ainsi, la politique de la recherche préfigure déjà d’un cahier de charges scientifiques à l’endroit des différents acteurs de la recherches, chacun en ce qui relève de son domaine de compétence et relativement aux priorités stratégiques identifiées. D’où le point de liaison de cette politique nationale de la recherche avec l’agenda scientifique des universités et centres de recherche. Parlant spécifiquement de l’université – vue sous un angle générique – cette dernière dispose d’un organe statutaire appelé « Conseil Scientifique et Pédagogique », qui a une fonction consultative et doit orienter les grandes lignes de l’agenda scientifique de l’institution. Les laboratoires et centres de recherches universitaires devraient également travailler sur la base d’un programme triennale ou quadriennale présenté en conseil scientifique et approuvé par ledit conseil. Le programme de travail d’un laboratoire universitaire doit se présenter sous la forme d’un projet de recherche thématique globale, constitué d’axes et de sous-axes où pourront se déployer différentes spécialités. C’est par ailleurs l’exigence actuelle d’une recherche transversale et pluridisciplinaire qui impose cette configuration fédératrice et synergique de l’activité scientifique et universitaire. Ceci dit, nous venons de présenter le synopsis de ce qu’est une politique de la recherche et ses implications dans le cadre de vie d’un État, car cela détermine son niveau de compétitivité et son rayonnement à l’international. Vous venez de nous définir la politique de la recherche, pouvez-vous nous faire également l’état de la recherche au Gabon ? La première chose à relever à ce propos est l’absence d’un agenda institutionnel de la recherche, tant au niveau de l’État que de celui de l’université. Au niveau des structures de base que sont les laboratoires et centres de recherche, il n’y a pas non plus de programme institutionnellement approuvé. Ce qui se passe de fait, c’est le développement épars de plusieurs recherches sans cadre directionnel précis. Ce qui veut dire que chaque chercheur ou groupe de chercheurs choisit sa thématique de travail suivant ses propres intérêts théoriques du moment. Second point à relever, c’est l’absence de mesures statistiques sur la production scientifique nationale. Au niveau de l’université Omar Bongo, aucune base de données statistiques n’est opérationnelle. Les enseignants chercheurs publient très souvent sans le soutien financier de l’institution, ce qui amenuise leur capacité à s’imposer dans les processus d’éditions scientifiques de qualité. Autrement dit, les chercheurs travaillent, soit de manière solitaire, soit en groupe d’intérêts restreint, mais toujours en restant sans cadre d’orientation institutionnelle. Les conséquences immédiates de ce cadre informe (c’est-à-dire sans forme) de la recherche universitaire c’est la rareté des ponts transdisciplinaires dans les publications, de même que la méconnaissance mutuelle des contributions respectives des universitaires de la même institution, quoique lesdites contributions soient souvent d’une grande pertinence théorique. L’absence d’une politique nationale de la recherche entraîne naturellement l’absence d’un cadre de valorisation des productions effectives. Cela entraîne également un manque d’émulation chez les universitaires gabonais, tant les schémas de représentation sociologique renvoient une image dévalorisante de la fonction universitaire et enseignante. Le troisième point à relever, en termes de constat, c’est que toutes les estimations approximatives de la productivité scientifique nationale et universitaire en particulier sont presque insignifiantes comparées aux autres nations dans le monde. Relativement à ce point de la part prise par le Gabon au concert de l’activité scientifique internationale, quelques études ont été publiées par des organismes tels que la Banque Mondiale, l’UNESCO, l’Union Européenne, qui sont par ailleurs les principaux partenaires au développement du Gabon et, qui de fait, participent au financement de la recherche. Suivant la Banque Mondiale, le Gabon consacre seulement 0,64 % (en 2009) du PIB à la recherche. Il suffit de considérer les lois de finances partant de 2013 à 2017, et l’on pourrait aisément tirer quelques informations claires. En 2013 seulement 1, 15% du budget dévolu à soutenir la recherche, là où la Tunisie engage 2 à 5% de son budget. D’autre part, si l’on observe les lois de finances 2016 et 2017 on observe pourtant une augmentation du budget global consacré à l’enseignement supérieur et à la recherche, mais à bien y regarder, le détail révèle globalement que plus de 80% des budgets servent au fonctionnement des cabinets, au payement de la main d’œuvre non permanente, payement de la technicité des agents administratifs et seulement une part insignifiante arrive en bout de chaîne, c’est-à-dire, aux centres de recherche et laboratoires, soit en moyenne 1.500.000 FCFA. Notre entretien n’étant pas une étude statistique – bien que les mesures statistiques nous intéressent – nous n’allons pas l’alourdir de chiffres. Pouvez-vous à votre niveau proposer des pistes pour la dynamisation de la recherche au Gabon ? Il importe d’indiquer quelques pistes, de manière non exhaustive, d’actions pouvant permettre de dynamiser la recherche au Gabon. Nous tenons toutefois, à rappeler que ces propositions ne sont pas nouvelles ou originales, dans la mesure où certaines d’entre elles ont déjà été énoncées par d’autres compatriotes en des circonstances diverses. En premier lieu, il conviendrait d’ériger un conseil national de la recherche. Ce dernier aura pour mission d’élaborer justement la vision stratégique de la recherche au niveau national – ce que nous avons appelé « Politique de la Recherche » – en indiquant clairement les lignes d’intérêt majeur. Le conseil centraliserait également un fonds de soutien à la recherche qui n’aura plus partie liée avec le système des charges financières des divers cabinets et personnels administratifs. Les procédures d’accès au financement de la recherche devraient être établies de telle sorte que le principe de compétition par voie de concours soit privilégié. Chaque année, le conseil lancerait des appels d’offre de projets scientifiques, dont les réponses par les équipes et les chercheurs individuels seraient soumises à évaluation par un jury national. Suivant la pertinence et la praticabilité des projets soumis, dépendra la recevabilité ou non des candidatures. Pour le fonctionnement régulier des unités de recherche, il conviendrait d’élaborer un cadre de gestion financière totalement autonome, à partir duquel elles recevraient leur subvention directement du conseil national de la recherche et ne dépendraient plus des ordonnateurs de crédits que sont les chefs d’établissement de l’enseignement supérieur. Cela aura également l’avantage de constituer un cadre de fonctionnement administratif unique pour tous les chercheurs universitaires et ceux non universitaires. Telles sont les quelques suggestions que nous faisons à l’occasion, en termes d’actions immédiates à entreprendre pour la réorganisation et la compétitivité de la recherche au Gabon. Propos recueillis par RAMA et BESSEY]]>
article précédent
Commentaires